samedi 19 janvier 2013

IL Y A CENT ANS

Extrait d'un article du Figaro du 14 janvier 1913  Par Régis Gignoux

Le 14 janvier, le journal se félicite que les coups portés lors des combats de boxe ne puissent plus tomber sous le coup de la loi.



Désormais, le Droit est dans le ring enchanté, si l'on peut s'exprimer ainsi, en oubliant que ring veut dire anneau, cercle.

Et du même coup, du même direct irrésistible, le Droit, entre un boxeur et un organisateur de matches, a trouvé des formules définitives qui seront adoptées en 1913 par toutes les fédérations et sans doute reproduites au verso des programmes de notre Wonderland national.
Voici ce jugement désormais fameux dans l'histoire de la boxe:

«Attendu que la boxe n'a en soi rien d'immoral ni d'illicite; qu'elle est, au contraire, comme beaucoup d'autres sports, une manifestation de la force, de la souplesse et de l'endurance de ceux qui s'y livrent et que les accidents qu'elle peut entraîner sont le risque commun de tous les exercices violents;
Attendu qu'à la différence des coups punis par le Code pénal, et dont les auteurs obéissent à un sentiment de haine ou à un mouvement de colère, les coups que se portent les boxeurs n'ont d'autre but que de faire valoir leur adresse dans l'attaque et dans la défense; que les lutteurs agissant selon la méthode enseignée par le maître et en observant les règlements de leur corporation, cherchent avant tout un jeu correct, à réduire leur adversaire à l'impuissance et cessent de le presser dès que celui-ci s'avoue vaincu:
Que ces professionnels, généralement équilibrés entre eux, et munis de gants protecteurs, se disqualifieraient s'ils frappaient dans certaines parties du corps et usaient de procédés interdits;
Attendu que les coups échangés par des boxeurs dans un match ne peuvent donc pas, dès que les règles de ce genre d'escrime sont obéies, être assimilés aux coups prévus par la législation dans les articles 309 et suivants…»

Les juges de Douai qui rédigèrent cet arrêt passeront à la postérité sportive, déclare M. Paul Rousseau, le distingué président de la Société de propagation de la boxe. Et ils auront également joué un grand rôle dans l'histoire de nos mœurs, en légalisant de cette manière le «noble sport».

Il ne reste plus beaucoup de Parisiens qui n'aient pas encore assisté à des combats sérieux. Et le nombre des adversaires obstinés de la boxe diminue chaque jour. C'est à Paris que les plus pathétiques rencontres de boxeurs sont organisées, et cette constatation suffit à indiquer le goût du public, de même que la popularité si prompte de Georges Carpentier résume l'engouement populaire. 

Remarque curieuse: c'est à la suite d'un déplorable accident que la boxe a pris droit de cité à Paris. On voulut proposer l'interdiction des combats: on ne réussit qu'à assurer leur réglementation officielle. Des défenseurs du sport essentiel surent plaider son influence bienfaisante et dire combien la boxe donnait à un homme une confiance raisonnée dans sa force, c'est-à-dire le sang-froid de ne pas attaquer un plus faible que soi et le courage de corriger un agresseur. 

A cette occasion, nous eûmes le plaisir de constater ici-même le phénomène social qui se produit dans les faubourgs, de quelle manière la culture des muscles et de la volonté décidait des jeunes gens du peuple à s'élever hors de leur classe, à gagner une situation avec ses réalités et ses apparences. Les jeunes boxeurs, abandonnant le maillot et la casquette, s'appliquent d'abord à choisir des vêtements bourgeois, rivalisent d'élégance; puis ils s'efforcent de combler, par l'éducation, les autres distances; ils s'appliquent aux belles manières, ils apprennent les langues étrangères et l'art de gérer leur fortune. Et maintenant, ils achèteront des bibliothèques assez grandes pour contenir le Dalloz.